Sommaire
1. L’article 98, paragraphe 1, du règlement nº 40/94 sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement nº 3288/94, doit être interprété en ce sens que la portée de l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire prononcée par un tribunal des marques communautaires, dont la compétence est fondée sur les articles 93, paragraphes 1 à 4, et 94, paragraphe 1, de ce règlement, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union européenne.
En effet, un tribunal des marques communautaires est compétent pour connaître des faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un ou de plusieurs États membres, voire de l’ensemble de ceux-ci. Partant, sa compétence peut s’étendre à tout le territoire de l’Union.
D'autre part, le droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire, conféré en vertu du règlement nº 40/94, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union, sur lequel les marques communautaires jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets.
En outre, l’objectif visé par l’article 98, paragraphe 1, du règlement nº 40/94 est de protéger de façon uniforme sur tout le territoire de l’Union le droit conféré par la marque communautaire contre le risque de contrefaçon.
En vue de garantir cette protection uniforme, l’interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon prononcée par un tribunal des marques communautaires compétent doit donc, en principe, s’étendre à tout le territoire de l’Union.
La portée territoriale de l’interdiction peut, dans certains cas, être restreinte. Le droit exclusif du titulaire de la marque communautaire, prévu à l’article 9, paragraphe 1, du règlement nº 40/94, est octroyé afin de permettre à ce titulaire de protéger ses intérêts spécifiques en tant que tels, c’est-à-dire de s’assurer que cette marque est en mesure de remplir ses fonctions propres. Dès lors, l’exercice de ce droit doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. Il s’ensuit que le droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire et, par conséquent, l’étendue territoriale de ce droit ne peuvent aller au-delà de ce que celui-ci permet à son titulaire afin de protéger la marque qu’il détient, à savoir interdire uniquement tout usage susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. Les actes ou les futurs actes du défendeur, à savoir la personne faisant l’usage incriminé de la marque communautaire, qui ne constituent pas une atteinte aux fonctions de la marque communautaire ne sauraient dès lors faire l’objet d’une interdiction.
Partant, si un tribunal des marques communautaires constate que les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire se limitent à un seul État membre ou à une partie du territoire de l’Union, notamment, parce que l’auteur de la demande d’interdiction a restreint la portée territoriale de son action dans le cadre de l’exercice de son libre pouvoir de déterminer l’étendue de l’action qu’il introduit ou parce que le défendeur apporte la preuve que l’usage du signe en question ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, notamment pour des motifs linguistiques, ce tribunal doit limiter la portée territoriale de l’interdiction qu’il prononce.
(cf. points 38-39, 43-44, 46-48, 50, disp. 1)
2. L’article 98, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement nº 40/94 sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement nº 3288/94, doit être interprété en ce sens qu’une mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal des marques communautaires en application de son droit national en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon qu’il a prononcée, produit effet dans les États membres autres que celui dont relève ce tribunal, auxquels s’étend la portée territoriale d’une telle interdiction, dans les conditions prévues au chapitre III du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice. Lorsque le droit national de l’un de ces autres États membres ne contient aucune mesure coercitive analogue à celle prononcée par ledit tribunal, l’objectif auquel tend cette dernière devra être poursuivi par le tribunal compétent de cet État membre en recourant aux dispositions pertinentes du droit interne de ce dernier de nature à garantir de manière équivalente le respect de ladite interdiction.
Cette obligation de réaliser l’objectif poursuivi par ladite mesure constitue le prolongement de l’obligation imposée aux tribunaux des marques communautaires de prendre des mesures coercitives lorsqu’ils rendent une décision portant interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Sans ces obligations corrélées, une telle interdiction pourrait ne pas être assortie de mesures propres à en garantir le respect, de sorte qu’elle serait, dans une large mesure, dépourvue d’effet dissuasif.
(cf. points 57, 59, disp. 2)
Publication reference
-
Publication reference: Recueil de jurisprudence 2011 I-02801
Document number
-
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:238
-
Celex-Nr.: 62009CJ0235
Authentic language
-
Authentic language: français
Dates
-
Date of document: 12/04/2011
-
Date lodged: 29/06/2009
Classifications
-
Subject matter
-
Directory of EU case law
Miscellaneous information
-
Author: Cour de justice
-
Country or organisation from which the decision originates: France
-
Form: Arrêt
Procedure
-
Type of procedure: Recours préjudiciel
-
Judge-Rapportuer: Lõhmus
-
Advocate General: Cruz Villalón
-
Observations: Commission européenne, Allemagne, Pays-Bas, EUINST, Royaume-Uni, EUMS, France
-
National court:
- *A9* Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, arrêt du 23/06/2009 (08-13729)
- - The European Legal Forum 2009 p.II-153-II-155 (Texte français)
- - The European Legal Forum 2009 p.I-293 (résumé) (Texte anglais)
Legal doctrine
9. Sosnitza, Olaf: Reichweite und Durchsetzung des Unterlassungsanspruchs im Recht der Gemeinschaftsmarke, Markenrecht 2011 p.193-198 (DE)
15. Cornu, Emmanuel: Arrêt "DHL": portée territoriale des mesures d'interdiction de contrefaçon d'une marque communautaire, Journal des tribunaux / droit européen 2011 nº 180 p.174-177 (FR)
3. Sujecki, Bartosz: Zur Durchsetzung der Gemeinschaftsmarkenverordnung, Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht 2011 p.45-46 (DE)
18. Van Zimmeren, E.: S.E.W. ; Sociaal-economische wetgeving 2011 p.548-553 (NL)
22. Kur, Annette: Case C-235/09, DHL Express v. Chronopost, Judgment of the Court of Justice (Grand Chamber) of 12 April 2011, nyr., Common Market Law Review 2012 p.753-766 (EN)
25. A.A.: DEvre 12.4.2011 (Ypoth. 235/09) - DHL Express France SAS k. / Chonopost S.A., Armenopoulos 2012 p. 1164 (EL)
7. Steinhauser, P.J.M.: Het EU-wijde verbod met dwangsom, Berichten industriële eigendom 2011 p.176-178 (NL)
4. Woller, Michael: Räumliche Wirkung und Durchsetzung unionsweiter Unterlassungsgebote, Ecolex 2011 p.249-250 (DE)
30. Casalonga, Caroline ; Codevelle, Floriane: On the territorial scope of prohibition, issued by a Community trade mark Court, against further infringement or threatened infringement and the effects of coercive measures to ensure compliance with that prohibition, LANDMARK IP DECISIONS OF THE EUROPEAN COURT OF JUSTICE 2008-2013 (Ed. Larcier - Brussels) 2014 p.90-95 (EN)
24. Würtenberger, Gert: The enforcement of judgments of Community trade mark courts, Journal of Intellectual Property Law and Practice 2012 p.373-377 (EN)
12. Sosnitza, Olaf: Der Grundsatz der Einheitlichkeit im Verletzungsverfahren der Gemeinschaftsmarke - Zugleich Besprechung von EuGH, Urt. v. 12. 4. 2011 - C-235/09 - DHL/Chronopost, Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht 2011 p.465-472 (DE)
11. Marino, Laure: Marque communautaire (arrêt DHL) : enfin des « euro-interdictions » !, Gazette du Palais 2011 nº 173-174 Jur. p.18-19 (FR)
23. Grünberger, Michael: Relative Autonomie und beschränkte Einheitlichkeit im Gemeinschaftsmarkenrecht, Praxis des internationalen Privat- und Verfahrensrechts 2012 p.500-507 (DE)
13. Woller, Michael: Unterlassungsgebot nach GMV: zur territorialen Einschränkung und Durchsetzung in anderen MS, Ecolex 2011 p.439-440 (DE)
14. Vatovec, Katarina: Sodna prepoved nadaljevanja kršitev znamke Skupnosti praviloma učinkuje v vsej EU, Pravna praksa 2011 nº 15-16 p.30-31 (SL)
2. Visser, Dirk: Uniekaas of linguïstische eenheid, Nederlands juristenblad 2011 p.43-45 (NL)
19. Schaafsma, S.J.: Intellectuele eigendom & Reclamerecht 2011 p.421-425 (NL)
8. Idot, Laurence: Portée territoriale des injonctions en cas de contrefaçon, Europe 2011 Juin Comm. nº 6 p.30 (FR)
31. Idot, Laurence: Contrefaçon de dessins ou modèles, Europe 2017 novembre nº 11 p.54-55 (FR)
32. Bohaczewski, Michał: Territorial scope of the prohibition against infringement of an EU trade mark with a reputation, European Intellectual Property Review 2024, Volume 46, Issue 1, p. 19-24 (EN)
10. Smits, Catherine ; Ligot, Johanne: Propriété industrielle et commerciale. L'arrêt Chronopost : un arrêt qui soulève plus de questions qu'il n'en résout ?, Gazette du Palais 2011 nº 161-162 Jur. p.39-40 (FR)
29. Żelechowski, Łukasz: Infringement of a Community Trade Mark: Between EU-wide and non-EU-wide Scope of Prohibitive Injunctions, European Intellectual Property Review 2013 p.287-296 (EN)
1. Kochendörfer, Mathias: EuGH: Unterlassungstitel gilt nach Ansicht des Generalanwalts gemeinschaftsweit, Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht 2010 nº 22 p.503 (DE)
6. Costes, Lionel: Portée territoriale de l'interdiction des actes de contrefaçon prononcée par un Tribunal des marques communautaires : l'analyse de la CJUE, Droit de l'immatériel : informatique, médias, communication 2011 nº 71 p.28 (FR)
16. Smith, Joel ; Gauld, Julian: The Territorial Effect of Sanctions under the Community Trade Marks Regulation: The ECJ delivers its Judgment in DHL v Chronopost, European Intellectual Property Review 2011 Vol. 33 Issue 9 p.588-590 (EN)
26. Granmar, Claes G.: Chronopost: Horizontal harmonisation through overlapping national jurisdictions, Europarättslig tidskrift 2012 Nr 4 p.681-687 (EN)
27. Vida, Sándor: A közösségi védjegybíróságok hatásköre - a webshipping-ügy, Iparjogvédelmi és Szerzői Jogi Szemle 2012 1. szám p.94-113 (HU)
21. Ferrari, Francesca: Una recente sentenza della Corte di giustizia dell'Unione europea in materia di pronunce inibitorie e misure coercitive dei tribunali dei marchi comunitari, Rivista di diritto processuale 2012 p.228-240 (IT)
28. Gielen, Ch.: Nederlandse jurisprudentie ; Uitspraken in burgerlijke en strafzaken 2013 nº 209 (NL)
20. De Miguel Asensio, Pedro Alberto: Tribunal de Justicia - Marca Comunitaria - STJUE de 12 de abril de 2011, asunto C-235/09, DHL Express France SAS, anteriormente DHL Internacional SA c. Chronopost SA, Revista española de Derecho Internacional 2011 nº 2 p.250-253 (ES)
5. Von Welser, Marcus: EuGH: Verletzung einer Gemeinschaftsmarke führt regelmäßig zu einem gemeinschaftsweiten Unterlassungsanspruch, Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht 2011 p.188 (DE)
17. Bénard, Laëtitia ; Abello, Alexandra: L'arrêt DHL/Chronopost de la CJUE du 12 avril 2011 : une injonction communautaire peut être obtenue dans les limites de l'atteinte aux fonctions de la marque, Droit de l'immatériel : informatique, médias, communication 2011 nº 74 p.24-30 (FR)
Relationship between documents
-
Case affecting:
Affects Legal instrument Provision Interprète 31994R0040 A93P1 Interprète 31994R0040 A93P4 Interprète 31994R0040 A93P2 Interprète 31994R0040 A98P1 Interprète 31994R0040 A93P3 Interprète 31994R0040 A94P1 Interprète 32001R0044 CH3 -
Instruments cited:
Legal instrument Provision Paragraph in document 31994R0040 A14P1 N 6 34 31994R0040 A90 N 8 49 31994R0040 A14P3 N 6 34 31994R0040 A98P2 N 29 30 31994R0040 A93P3 N 36 37 50 31994R0040 A93 N 11 31994R0040 A93P2 N 36 37 50 31994R0040 A09P1 N 5 46 47 31994R0040 A98 N 1 14 26 27 31994R0040 A93P5 N 36 31994R0040 A97 N 13 31994R0040 A94P1 N 12 37 50 31994R0040 A92LA N 10 35 31994R0040 A93P1 N 36 37 50 31994R0040 C15 N 3 42 31994R0040 C2 N 3 41 31994R0040 A94P2 N 12 31994R0040 A01P2 N 4 40 31994R0040 A92LB N 10 31994R0040 A93P4 N 36 37 50 31994R0040 A98P1 N 28 30 - 59 31994R0040 A91P1 N 9 37 31994R0040 C16 N 3 42 32001R0044 A38P1 N 17 32001R0044 N 55 59 32001R0044 A49 N 18 32001R0044 A68P1 N 15 32001R0044 A33P1 N 16 49 32004L0048 A03 N 19 58 62005CJ0316 N 43 53 54 57 62005CJ0432 N 58 12008M004 P3L2 N 58 62008CJ0236 N 46
Affaire C-235/09
DHL Express France SAS, anciennement DHL International SA
contre
Chronopost SA
(demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France))
«Propriété intellectuelle — Marque communautaire — Règlement (CE) nº 40/94 — Article 98, paragraphe 1 — Interdiction des actes de contrefaçon prononcée par un tribunal des marques communautaires — Portée territoriale — Mesures coercitives accompagnant une telle interdiction — Effet sur le territoire des États membres autres que celui dont relève le tribunal saisi»
Sommaire de l'arrêt
1. Marque communautaire — Litiges en matière de contrefaçon et de validité des marques communautaires — Sanctions en cas de contrefaçon ou de menace de contrefaçon — Interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon — Interdiction s'étendant à l'ensemble du territoire de l’Union européenne — Restriction de la portée territoriale de l'interdiction
(Règlement du Conseil nº 40/94, tel que modifié par le règlement nº 3288/94, art. 93, § 1 à 4, 94, § 1, et 98, § 1)
2. Marque communautaire — Litiges en matière de contrefaçon et de validité des marques communautaires — Sanctions en cas de contrefaçon ou de menace de contrefaçon — Interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon — Mesures coercitives accompagnant une interdiction — Effet dans les États membres autres que celui du tribunal saisi
(Règlements du Conseil nº 40/94, tel que modifié par le règlement nº 3288/94, art. 98, § 1, et nº 44/2001)
1. L’article 98, paragraphe 1, du règlement nº 40/94 sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement nº 3288/94, doit être interprété en ce sens que la portée de l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire prononcée par un tribunal des marques communautaires, dont la compétence est fondée sur les articles 93, paragraphes 1 à 4, et 94, paragraphe 1, de ce règlement, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union européenne.
En effet, un tribunal des marques communautaires est compétent pour connaître des faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un ou de plusieurs États membres, voire de l’ensemble de ceux-ci. Partant, sa compétence peut s’étendre à tout le territoire de l’Union.
D'autre part, le droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire, conféré en vertu du règlement nº 40/94, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union, sur lequel les marques communautaires jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets.
En outre, l’objectif visé par l’article 98, paragraphe 1, du règlement nº 40/94 est de protéger de façon uniforme sur tout le territoire de l’Union le droit conféré par la marque communautaire contre le risque de contrefaçon.
En vue de garantir cette protection uniforme, l’interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon prononcée par un tribunal des marques communautaires compétent doit donc, en principe, s’étendre à tout le territoire de l’Union.
La portée territoriale de l’interdiction peut, dans certains cas, être restreinte. Le droit exclusif du titulaire de la marque communautaire, prévu à l’article 9, paragraphe 1, du règlement nº 40/94, est octroyé afin de permettre à ce titulaire de protéger ses intérêts spécifiques en tant que tels, c’est-à-dire de s’assurer que cette marque est en mesure de remplir ses fonctions propres. Dès lors, l’exercice de ce droit doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. Il s’ensuit que le droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire et, par conséquent, l’étendue territoriale de ce droit ne peuvent aller au-delà de ce que celui-ci permet à son titulaire afin de protéger la marque qu’il détient, à savoir interdire uniquement tout usage susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. Les actes ou les futurs actes du défendeur, à savoir la personne faisant l’usage incriminé de la marque communautaire, qui ne constituent pas une atteinte aux fonctions de la marque communautaire ne sauraient dès lors faire l’objet d’une interdiction.
Partant, si un tribunal des marques communautaires constate que les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire se limitent à un seul État membre ou à une partie du territoire de l’Union, notamment, parce que l’auteur de la demande d’interdiction a restreint la portée territoriale de son action dans le cadre de l’exercice de son libre pouvoir de déterminer l’étendue de l’action qu’il introduit ou parce que le défendeur apporte la preuve que l’usage du signe en question ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, notamment pour des motifs linguistiques, ce tribunal doit limiter la portée territoriale de l’interdiction qu’il prononce.
(cf. points 38-39, 43-44, 46-48, 50, disp. 1)
2. L’article 98, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement nº 40/94 sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement nº 3288/94, doit être interprété en ce sens qu’une mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal des marques communautaires en application de son droit national en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon qu’il a prononcée, produit effet dans les États membres autres que celui dont relève ce tribunal, auxquels s’étend la portée territoriale d’une telle interdiction, dans les conditions prévues au chapitre III du règlement nº 44/2001, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice. Lorsque le droit national de l’un de ces autres États membres ne contient aucune mesure coercitive analogue à celle prononcée par ledit tribunal, l’objectif auquel tend cette dernière devra être poursuivi par le tribunal compétent de cet État membre en recourant aux dispositions pertinentes du droit interne de ce dernier de nature à garantir de manière équivalente le respect de ladite interdiction.
Cette obligation de réaliser l’objectif poursuivi par ladite mesure constitue le prolongement de l’obligation imposée aux tribunaux des marques communautaires de prendre des mesures coercitives lorsqu’ils rendent une décision portant interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Sans ces obligations corrélées, une telle interdiction pourrait ne pas être assortie de mesures propres à en garantir le respect, de sorte qu’elle serait, dans une large mesure, dépourvue d’effet dissuasif.
(cf. points 57, 59, disp. 2)
ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
Dans l’affaire C‑235/09,
contre
LA COUR (grande chambre),
composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, K. Schiemann, J.-J. Kasel et D. Šváby, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász, U. Lõhmus (rapporteur), Mme C. Toader et M. M. Safjan, juges,
avocat général: M. P. Cruz Villalón,
greffier: M. N. Nanchev, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 juin 2010,
considérant les observations présentées:
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Hathaway, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. H. Krämer, en qualité d’agent,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 octobre 2010,
rend le présent
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 98 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 3288/94 du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 349, p. 83, ci-après le «règlement n° 40/94»).
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant DHL Express France SAS (ci-après «DHL Express France»), venant aux droits de DHL International SA (ci-après «DHL International»), à Chronopost SA (ci-après «Chronopost») au sujet de l’usage qu’elle a fait des marques communautaire et française WEBSHIPPING, dont Chronopost est titulaire, de l’interdiction de cet usage et des mesures coercitives accompagnant cette interdiction.
Aux termes des deuxième, quinzième et seizième considérants du règlement n° 40/94:
«considérant qu’une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser les objets précités de la Communauté; que cette action consiste dans l’établissement d’un régime communautaire des marques conférant aux entreprises le droit d’acquérir, selon une procédure unique, des marques communautaires qui jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets sur tout le territoire de la Communauté; que le principe du caractère unitaire de la marque communautaire ainsi exprimé s’applique sauf disposition contraire du présent règlement;
[...]
considérant qu’il est indispensable que les décisions sur la validité et la contrefaçon des marques communautaires produisent effet et s’étendent à l’ensemble de la Communauté, seul moyen d’éviter des décisions contradictoires des tribunaux et de l’Office [de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI)], et des atteintes au caractère unitaire des marques communautaires; que ce sont les règles de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [signée le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32), ‘telle que modifiée par les conventions relatives à l’adhésion à cette convention des États adhérents aux Communautés européennes’ (ci-après la ‘convention de Bruxelles’),] qui s’appliquent à toutes les actions en justice relatives aux marques communautaires, sauf si le présent règlement y déroge;
L’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 40/94 dispose:
«La marque communautaire a un caractère unitaire. Elle produit les mêmes effets dans l’ensemble de la Communauté: elle ne peut être enregistrée, transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité, et son usage ne peut être interdit, que pour l’ensemble de la Communauté. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du présent règlement.»
L’article 9 dudit règlement, intitulé «Droit conféré par la marque communautaire», prévoit à son paragraphe 1:
«La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires:
a) d’un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;
b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;
c) d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans la Communauté et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice.»
L’article 14 du même règlement est libellé comme suit:
«1. Les effets de la marque communautaire sont exclusivement déterminés par les dispositions du présent règlement. Par ailleurs, les atteintes à une marque communautaire sont régies par le droit national concernant les atteintes à une marque nationale conformément aux dispositions du titre X.
[...]
3. Les règles de procédure applicables sont déterminées conformément aux dispositions du titre X.»
Le titre X du règlement n° 40/94, intitulé «Compétence et procédure concernant les actions en justice relatives aux marques communautaires», comprend les articles 90 à 104.
Aux termes de l’article 90 de ce règlement, relatif à l’application de la convention de Bruxelles:
2. En ce qui concerne les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 92:
a) l’article 2, l’article 4, l’article 5 paragraphes 1, 3, 4 et 5 et l’article 24 de la [convention de Bruxelles] ne sont pas applicables;
b) les articles 17 et 18 de cette convention sont applicables dans les limites prévues à l’article 93 paragraphe 4 du présent règlement;
c) les dispositions du titre II de cette convention qui s’appliquent aux personnes domiciliées dans un État membre s’appliquent également aux personnes qui ne sont pas domiciliées dans un État membre, mais qui y ont un établissement.»
L’article 91 dudit règlement, intitulé «Tribunaux des marques communautaires», énonce à son paragraphe 1:
«Les États membres désignent sur leurs territoires un nombre aussi limité que possible de juridictions nationales de première et de deuxième instance, ci-après dénommées ‘tribunaux des marques communautaires’, chargées de remplir les fonctions qui leur sont attribuées par le présent règlement.»
Aux termes de l’article 92 du même règlement, intitulé «Compétence en matière de contrefaçon et de validité»:
«Les tribunaux des marques communautaires ont compétence exclusive:
a) pour toutes les actions en contrefaçon et – si la loi nationale les admet – en menace de contrefaçon d’une marque communautaire;
b) pour les actions en constatation de non-contrefaçon, si la loi nationale les admet;
[...]»
L’article 93 du règlement n° 40/94, intitulé «Compétence internationale», prévoit:
2. Si le défendeur n’a ni son domicile, ni un établissement sur le territoire d’un État membre, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le demandeur a son domicile ou, si ce dernier n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.
3. Si ni le défendeur, ni le demandeur ne sont ainsi domiciliés ou n’ont un tel établissement, ces procédures sont portées devant les tribunaux de l’État membre dans lequel l’[OHMI] a son siège.
4. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3:
b) l’article 18 de cette convention est applicable si le défendeur comparaît devant un autre tribunal des marques communautaires.
5. Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 92 à l’exception des actions en déclaration de non-contrefaçon d’une marque communautaire peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis [...]»
L’article 94 dudit règlement, intitulé «Étendue de la compétence», dispose:
«1. Un tribunal des marques communautaires dont la compétence est fondée sur l’article 93 paragraphes 1 à 4 est compétent pour statuer sur:
– les faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de tout État membre,
– les faits visés à l’article 9 paragraphe 3 deuxième phrase commis sur le territoire de tout État membre.
2. Un tribunal des marques communautaires dont la compétence est fondée sur l’article 93 paragraphe 5 est compétent uniquement pour statuer sur les faits commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de l’État membre dans lequel est situé ce tribunal.»
L’article 97 du même règlement, intitulé «Droit applicable», est libellé comme suit:
«1. Les tribunaux des marques communautaires appliquent les dispositions du présent règlement.
2. Pour toutes les questions qui n’entrent pas dans le champ d’application du présent règlement, le tribunal des marques communautaires applique son droit national, y compris son droit international privé.
3. À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, le tribunal des marques communautaires applique les règles de procédure applicables au même type d’actions relatives à une marque nationale dans l’État membre sur le territoire duquel ce tribunal est situé.»
L’article 98 du règlement n° 40/94, intitulé «Sanctions», énonce:
«1. Lorsqu’un tribunal des marques communautaires constate que le défendeur a contrefait ou menacé de contrefaire une marque communautaire, il rend, sauf s’il y a des raisons particulières de ne pas agir de la sorte, une ordonnance lui interdisant de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Il prend également, conformément à la loi nationale, les mesures propres à garantir le respect de cette interdiction.
2. Par ailleurs, le tribunal des marques communautaires applique la loi de l’État membre, y compris son droit international privé, dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis.»
Aux termes de son article 68, paragraphe 1, le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), a remplacé, entre les États membres, la convention de Bruxelles. Le chapitre III de ce règlement énonce les dispositions relatives à la reconnaissance et à l’exécution de ces décisions.
L’article 33, paragraphe 1, de ce règlement, consacrant le principe de la reconnaissance des décisions, dispose que «[l]es décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure».
L’article 38, paragraphe 1, du même règlement énonce:
«Les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.»
L’article 49 dudit règlement est libellé comme suit:
«Les décisions étrangères condamnant à une astreinte ne sont exécutoires dans l’État membre requis que si le montant en a été définitivement fixé par les tribunaux de l’État membre d’origine.»
L’article 3 de la directive 2004/48/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45, et rectificatif JO L 195, p. 16), dispose sous le titre «Obligation générale»:
«1. Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.
2. Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.»
Chronopost est titulaire des marques communautaire et française portant sur le signe «WEBSHIPPING». La marque communautaire, déposée en octobre 2000, a été enregistrée le 7 mai 2003 pour, notamment, des services de logistique et de transmission d’informations, de télécommunications, de transport par route, de collecte de courrier, de journaux et de colis ainsi que de gestion de courrier express.
Il ressort du dossier que, constatant l’utilisation des signes «WEB SHIPPING», «Web Shipping» et/ou «Webshipping» pour désigner un service de gestion des envois express accessible sur le réseau Internet par l’un de ses principaux concurrents, à savoir DHL International, Chronopost a assigné cette société, le 8 septembre 2004, notamment pour contrefaçon de la marque communautaire WEBSHIPPING, devant le tribunal de grande instance de Paris (France), saisi en tant que tribunal des marques communautaires au sens de l’article 91, paragraphe 1, du règlement n° 40/94. Par son jugement du 15 mars 2006, ledit tribunal a, notamment, condamné DHL Express France, venant aux droits de DHL International, pour contrefaçon de la marque française WEBSHIPPING dont Chronopost est titulaire, mais il n’a toutefois pas statué sur la contrefaçon de la marque communautaire.
Selon la décision de renvoi, la cour d’appel de Paris, statuant en tant que tribunal des marques communautaires de seconde instance sur l’appel interjeté contre ledit jugement par Chronopost, a, par un arrêt du 9 novembre 2007, interdit, sous astreinte, la poursuite de l’usage par DHL Express France des signes «WEBSHIPPING» et «WEB SHIPPING» pour désigner un service de gestion de courrier express, accessible notamment sur Internet, usage que cette juridiction a qualifié d’atteinte à la marque communautaire et française WEBSHIPPING.
Le pourvoi en cassation que DHL Express France avait formé contre ledit arrêt a été rejeté par la décision de renvoi.
Toutefois, dans le cadre de la même procédure devant la Cour de cassation, Chronopost a introduit un pourvoi incident dans lequel elle soutient que l’arrêt du 9 novembre 2007 viole les articles 1er et 98 du règlement n° 40/94 en tant que l’interdiction sous peine d’astreinte de la poursuite des actes de contrefaçon de la marque communautaire WEBSHIPPING, prononcée par la cour d’appel de Paris, ne s’étend pas à l’ensemble du territoire de l’Union européenne.
Selon la Cour de cassation, il résulte expressément des motifs dudit arrêt de la cour d’appel de Paris que, bien que celui-ci ne contienne pas de dispositif exprès relatif à la demande tendant à ce que l’interdiction sous astreinte prononcée par cette dernière juridiction s’étende à tout le territoire de l’Union, cette interdiction sous astreinte doit s’entendre comme concernant le seul territoire français.
Éprouvant des doutes quant à l’interprétation, dans ce contexte, de l’article 98 du règlement n° 40/94, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
2) Dans la négative, le tribunal est-il en droit d’étendre spécifiquement cette interdiction sur le territoire d’autres États dans lesquels les faits de contrefaçon sont commis, ou menacent d’être commis?
3) Dans l’un ou l’autre cas, les mesures coercitives dont le tribunal, par application de son droit national, a assorti l’interdiction qu’il prononce sont-elles applicables sur le territoire des États membres dans lesquels cette interdiction produirait effet?
4) Dans le cas contraire, le tribunal peut-il prononcer une telle mesure coercitive, semblable ou différente de celle qu’il adopte en vertu de son droit national, par application du droit national des États dans [lesquels] cette interdiction aurait effet?»
L’article 98 du règlement n° 40/94 concerne, ainsi qu’il découle de son intitulé, les sanctions en matière de contrefaçon d’une marque communautaire.
La première phrase du paragraphe 1 de cet article prévoit que, lorsqu’il constate des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire, le tribunal des marques communautaires saisi rend une ordonnance interdisant la poursuite de tels actes. La seconde phrase du même paragraphe dispose que ce tribunal est tenu de prendre, conformément à la loi nationale, les mesures qui sont propres à garantir le respect de cette interdiction.
Aux termes du paragraphe 2 dudit article 98, le tribunal des marques communautaires applique, «[p]ar ailleurs, [...] la loi de l’État membre, y compris son droit international privé, dans lequel les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ont été commis».
Il découle des termes introduisant ce paragraphe 2, lu à la lumière de l’intitulé dudit article 98, ainsi que des diverses versions linguistiques de cette disposition, notamment les versions allemande («in Bezug auf alle anderen Fragen»), espagnole («por otra parte»), italienne («negli altri casi») et anglaise («in all other respects»), que ce paragraphe ne porte pas sur les mesures coercitives visées au paragraphe 1 du même article, qui sont des mesures propres à garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon.
Les questions posées par la juridiction de renvoi ne portant que sur l’interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon et sur les mesures coercitives visant à garantir le respect de cette interdiction, il convient, dès lors, de considérer que ces questions visent l’interprétation de l’article 98, paragraphe 1, du règlement n° 40/94.
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 98, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 doit être interprété en ce sens que l’interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire, prononcée par un tribunal des marques communautaires, a effet de plein droit sur l’ensemble du territoire de l’Union.
Il convient de relever que la portée territoriale d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire, au sens de l’article 98, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, est déterminée tant par la compétence territoriale du tribunal des marques communautaires ordonnant cette interdiction que par l’étendue territoriale du droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire, auquel il est porté atteinte par la contrefaçon ou la menace de contrefaçon, telle que cette étendue découle du règlement n° 40/94.
S’agissant, d’une part, de la compétence territoriale du tribunal des marques communautaires, il convient d’emblée de relever que, en vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 40/94, les atteintes à une marque communautaire sont régies par le droit national concernant les atteintes à une marque nationale conformément aux dispositions du titre X de ce règlement. Les règles de procédure applicables sont déterminées conformément aux dispositions de ce titre X, intitulé «Compétence et procédure concernant les actions en justice relatives aux marques communautaires» et comprenant les articles 90 à 104 du même règlement.
Aux termes de l’article 92, sous a), dudit règlement, les tribunaux des marques communautaires ont compétence exclusive pour statuer sur toutes les actions en contrefaçon et, si la loi nationale les admet, en menace de contrefaçon d’une marque communautaire.
En l’occurrence, il ressort des observations écrites déposées devant la Cour par Chronopost que le tribunal des marques communautaires a été saisi sur le fondement de l’article 93, paragraphes 1 à 4, du règlement n° 40/94. Selon les mêmes observations, la demande tendant à ce qu’il soit mis fin à la contrefaçon ou menace de contrefaçon n’est pas fondée sur le paragraphe 5 du même article.
En vertu de l’article 93, paragraphes 1 à 4, du règlement n° 40/94, lu en combinaison avec l’article 94, paragraphe 1, de celui-ci, le tribunal des marques communautaires, qui est institué, conformément à l’article 91 de ce règlement, afin de protéger les droits conférés par une marque communautaire, est compétent, notamment, pour connaître des faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire de tout État membre.
Dès lors, un tribunal des marques communautaires, tel que celui saisi dans le litige au principal, est compétent pour connaître des faits de contrefaçon commis ou menaçant d’être commis sur le territoire d’un ou de plusieurs États membres, voire de l’ensemble de ceux-ci. Partant, sa compétence peut s’étendre à tout le territoire de l’Union.
D’autre part, le droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire, conféré en vertu du règlement n° 40/94, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union, sur lequel les marques communautaires jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets.
En effet, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, dudit règlement, la marque communautaire a un caractère unitaire. Produisant les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union, elle ne peut, conformément à cette disposition, être enregistrée ou transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité et son usage ne peut être interdit que pour l’ensemble de l’Union. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du même règlement.
Il résulte, en outre, du deuxième considérant du règlement n° 40/94 que l’objectif poursuivi par celui-ci consiste dans l’établissement d’un régime communautaire des marques qui jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets sur tout le territoire de l’Union.
Le caractère unitaire de la marque communautaire ressort également des quinzième et seizième considérants du même règlement. Selon ceux-ci, d’une part, il est indispensable que les effets des décisions sur la validité et la contrefaçon des marques communautaires s’étendent à l’ensemble de l’Union, afin d’éviter tant des décisions contradictoires des tribunaux et de l’OHMI que des atteintes au caractère unitaire des marques communautaires, et, d’autre part, il convient d’éviter que des jugements contradictoires ne soient rendus à la suite d’actions dans lesquelles sont impliquées les mêmes parties et qui sont formées pour les mêmes faits sur la base d’une marque communautaire et de marques nationales parallèles.
En outre, la Cour a déjà jugé, au point 60 de l’arrêt du 14 décembre 2006, Nokia (C‑316/05, Rec. p. I‑12083), que l’objectif visé par l’article 98, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 est de protéger de façon uniforme sur tout le territoire de l’Union le droit conféré par la marque communautaire contre le risque de contrefaçon.
En vue de garantir cette protection uniforme, l’interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon prononcée par un tribunal des marques communautaires compétent doit donc, en principe, s’étendre à tout le territoire de l’Union.
En effet, si la portée territoriale de cette interdiction était, au contraire, limitée au territoire de l’État membre pour lequel ce tribunal a constaté l’acte de contrefaçon ou de menace de contrefaçon ou au territoire des seuls États membres ayant donné lieu à une telle constatation, il existerait un risque que le contrefacteur recommence à exploiter le signe en question dans un État membre à l’égard duquel l’interdiction n’aurait pas été prononcée. De plus, les nouvelles procédures juridictionnelles que le titulaire de la marque communautaire serait contraint d’engager augmenteraient, de manière proportionnelle à celles-ci, le risque de décisions contradictoires concernant la marque communautaire visée, notamment, en raison de l’appréciation factuelle du risque de confusion. Or, une telle conséquence va à l’encontre tant de l’objectif de protection uniforme de la marque communautaire poursuivi par le règlement n° 40/94 que du caractère unitaire de celle-ci, tels que rappelés aux points 40 à 42 du présent arrêt.
Toutefois, la portée territoriale de l’interdiction peut, dans certains cas, être restreinte. En effet, le droit exclusif du titulaire de la marque communautaire, prévu à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, est octroyé afin de permettre à ce titulaire de protéger ses intérêts spécifiques en tant que tels, c’est-à-dire de s’assurer que cette marque est en mesure de remplir ses fonctions propres. Dès lors, l’exercice de ce droit doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2010, Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, non encore publié au Recueil, point 75 et jurisprudence citée).
Il s’ensuit, ainsi que la Commission européenne l’a relevé, que le droit exclusif du titulaire d’une marque communautaire et, par conséquent, l’étendue territoriale de ce droit ne peuvent aller au-delà de ce que celui-ci permet à son titulaire afin de protéger la marque qu’il détient, à savoir interdire uniquement tout usage susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. Les actes ou les futurs actes du défendeur, à savoir la personne faisant l’usage incriminé de la marque communautaire, qui ne constituent pas une atteinte aux fonctions de la marque communautaire ne sauraient dès lors faire l’objet d’une interdiction.
Partant, si le tribunal des marques communautaires saisi dans des conditions telles que celles au principal constate que les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire se limitent à un seul État membre ou à une partie du territoire de l’Union, notamment, parce que l’auteur de la demande d’interdiction a restreint la portée territoriale de son action dans le cadre de l’exercice de son libre pouvoir de déterminer l’étendue de l’action qu’il introduit ou parce que le défendeur apporte la preuve que l’usage du signe en question ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, notamment pour des motifs linguistiques, ce tribunal doit limiter la portée territoriale de l’interdiction qu’il prononce.
Enfin, il convient de préciser que la portée territoriale d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire peut s’étendre à tout le territoire de l’Union. En revanche, en vertu de l’article 90 du règlement n° 40/94, qui traite de l’application de la convention de Bruxelles, lu en combinaison avec l’article 33, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, les autres États membres sont, en principe, tenus de reconnaître et d’exécuter la décision juridictionnelle, conférant ainsi à celle-ci un effet transfrontalier.
Il y a dès lors lieu de répondre à la première question que l’article 98, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 doit être interprété en ce sens que la portée de l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire prononcée par un tribunal des marques communautaires, dont la compétence est fondée sur les articles 93, paragraphes 1 à 4, et 94, paragraphe 1, de ce règlement, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union.
Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question posée par la juridiction de renvoi.
Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 98, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 40/94 doit être interprété en ce sens qu’une mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal des marques communautaires en application de son droit national, en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon qu’il a prononcée, est susceptible de produire effet dans les États membres autres que celui dont relève ce tribunal, auxquels s’étend la portée territoriale d’une telle interdiction. Dans la négative, la même juridiction demande si ce tribunal peut prononcer une telle mesure, semblable ou différente de celle qu’il adopte en vertu de son droit national, par application du droit national de l’État membre sur le territoire duquel s’étend la portée de ladite interdiction.
À cet égard, il convient, d’une part, de rappeler que, en ce qui concerne le droit applicable aux mesures coercitives, la Cour a déjà jugé que c’est parmi les mesures prévues dans la législation de l’État membre dont relève le tribunal des marques communautaires saisi que celui-ci doit choisir celles qui sont propres à garantir le respect de l’interdiction qu’il a ordonnée (arrêt Nokia, précité, point 49).
D’autre part, il convient de relever que des mesures coercitives, ordonnées par le tribunal des marques communautaires en vertu du droit national de l’État membre dont il relève, ne sauraient répondre à l’objectif en vue duquel elles sont arrêtées, à savoir garantir le respect de l’interdiction afin d’assurer une protection effective sur le territoire de l’Union du droit conféré par la marque communautaire contre le risque de contrefaçon (voir, en ce sens, arrêt Nokia, précité, point 60), que si elles ont un effet sur le même territoire que celui dans lequel la décision juridictionnelle d’interdiction produit elle-même des effets.
Dans l’affaire au principal, la décision d’interdiction telle qu’ordonnée par le tribunal des marques communautaires a été assortie d’une astreinte par ce dernier en vertu du droit national. Afin qu’elle produise effet sur le territoire d’un État membre autre que celui dont relève le tribunal qui a ordonné ladite mesure coercitive, un tribunal de cet autre État membre qui serait saisi à cet égard doit, conformément aux dispositions du chapitre III du règlement n° 44/2001, reconnaître et faire exécuter celle-ci selon les règles et modalités prévues par le droit interne de ce dernier État.
Dans le cas où le droit national de l’État membre requis pour reconnaître et exécuter la décision du tribunal des marques communautaires ne prévoit aucune mesure coercitive analogue à celle ordonnée par le tribunal des marques communautaires qui a prononcé une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon et a assorti cette interdiction d’une telle mesure en vue d’en garantir le respect, le tribunal saisi de cet État membre doit, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 67 de ses conclusions, réaliser l’objectif poursuivi par ladite mesure en recourant aux dispositions pertinentes de son droit national qui sont de nature à garantir de manière équivalente le respect de l’interdiction initialement prononcée.
En effet, cette obligation de réaliser l’objectif poursuivi par ladite mesure constitue le prolongement de l’obligation imposée aux tribunaux des marques communautaires de prendre des mesures coercitives lorsqu’ils rendent une décision portant interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon. Sans ces obligations corrélées, une telle interdiction pourrait ne pas être assortie de mesures propres à en garantir le respect, de sorte qu’elle serait, dans une large mesure, dépourvue d’effet dissuasif (voir, en ce sens, arrêt Nokia, précité, points 58 et 60).
À cet égard, il convient de rappeler qu’il incombe aux juridictions des États membres, par application du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, deuxième alinéa, TUE, d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 38 et jurisprudence citée). En vertu de la même disposition, les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union. En particulier, en vertu de l’article 3 de la directive 2004/48, les États membres sont tenus de prévoir les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par cette directive, au nombre desquels figure, notamment, le droit des titulaires de marques. Aux termes du paragraphe 2 du même article 3, ces mesures, procédures et réparations doivent être effectives, proportionnées ainsi que dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.
Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 98, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 40/94 doit être interprété en ce sens qu’une mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal des marques communautaires en application de son droit national en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon qu’il a prononcée, produit effet dans les États membres autres que celui dont relève ce tribunal, auxquels s’étend la portée territoriale d’une telle interdiction, dans les conditions prévues au chapitre III du règlement n° 44/2001 en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice. Lorsque le droit national de l’un de ces autres États membres ne contient aucune mesure coercitive analogue à celle prononcée par ledit tribunal, l’objectif auquel tend cette dernière devra être poursuivi par le tribunal compétent de cet État membre en recourant aux dispositions pertinentes du droit interne de ce dernier de nature à garantir de manière équivalente le respect de ladite interdiction.
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
Signatures
Source
-
EUR-Lex
EUR-Lex is a legal portal maintained by the Publications Office with the aim to enhance public access to European Union law.
Except where otherwise stated, all intellectual property rights on EUR-Lex data belong to the European Union.
© European Union, http://eur-lex.europa.eu/, 1998-2015 Link to document text: http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:62009CJ0235





